"Numérissime...Modernissime...Virus" Ed. L'Harmattan

"Numérissime...Modernissime...Virus" Pièce de théâtre : Editions de L'Harmattan

« Du numérique…à la modernité…au COVID-19 »

N’avons-nous pas progressivement conscience que la révolution numérique déstabilise nos sociétés, à l’échelle mondiale, plus qu’elle n’apporte de libertés, jusqu’à en être profondément inquiets ? Une fois énoncée l’évidence de toutes les facilités qu’elle nous apporte, vient un trouble dans notre conscience avec la mise en place d’une société plus que bizarre.

L’objet-roi de la révolution numérique a des conséquences sur tous les plans de la vie des individus et des sociétés. Lesquelles conséquences, mises en perspective, font apparaître des fractures sociales, humaines, de nature métaphysique. La modernité en crise elle-même est profondément questionnée.

La révolution technoscientifique et numérique que nous vivons conduit à  une ambivalence tragique, entre les promesses d’une « réalité augmentée » d’un côté, et d’insidieux dangers de l’autre ; le simple art de vivre d’antan n’est plus que nostalgie. La facilité manipulatoire des clics porte à l’excès – à l’hubris – un monde virtuel, jusqu’à la déshumanisation progressive du monde réel, la déréalisation de nos vies. Les procédures algorithmiques découragent la pensée humaine. Les réseaux sociaux ferment les communautés sur elles-mêmes.  

Cet outil de communication sans égal, devenu notre double, provoque une rupture de civilisation inédite, une perte de sens, une remise en question anthropologique annoncée par le Meilleur des Mondes et 1984. Tout est bouleversé comme jamais, de la vie à la mort, les choses du cœur et de la sexualité en particulier, et nos démocraties n’ont d’autre choix que de résister au Big Brother qui se profile, pour rester humaines face à la « chosification » du monde…

            Dernièrement, le virus du COVID apparu en 2019 est le symptôme d’un long détraquement que la civilisation occidentale provoque dans l’ensemble de la Nature, par rapport à l’animalité en particulier.

            La pandémie a mis en évidence les vulnérabilités de notre modèle sociétal urbain,  hyperconcentré dans les métropoles. La globalisation effrénée affaiblit notre système immunitaire. La faune sauvage (les chauve-souris et pangolins porteurs du COVID-19) devient pathogène. L’Afrique semble résister grâce à ses anticorps. L’uniformisation mondialisante provoquée par notre civilisation occidentale à l’échelle de la planète aboutit à la simplification génétique.

            L’anthropologue Lévi-Strauss a dénoncé les impasses de la modernité : « L’Homme industriel vit sous un régime d’empoisonnement interne qu’il a fait subir à maints d’autres peuples qu’il considérait comme sauvages…» 

La révolution numérique risque de nous conduire vers un totalitarisme doux, une « servitude volontaire » à une organisation algorithmique abstraite que le Meilleur des Mondes puis 1984 avaient prophétisés. De nombreux Etats prennent ce chemin. Si l’avenir fait peur au moment de la pandémie du COVID-19, plaçons notre espoir dans un nouvel équilibre entre espaces urbains tournés vers la mondialisation et espaces naturels et ruraux de proximité. Il faut rétablir « notre connivence originelle avec toutes les manifestations de la vie », retrouver un peu de « l’harmonie primitive avec la nature » (Lévi-Strauss)

            Par paresse et facilité, nos sociétés apportent essentiellement des solutions numériques à leurs problèmes. Toute la vie humaine est transformée en données – data-  en algorithmes. Le concept de villes dites « intelligentes », fluidifié par la 5G, s’inscrit dans la même vision fantasmatique. Toute notre organisation sociale ne risque-t-elle pas de pâtir de cette totalisation du monde ? Peu importe à la technocratie si ce système dépensera beaucoup d’énergie et accentuera les inégalités territoriales.

            Au contraire, il faut déconcentrer pour redonner vie aux communautés humaines tout autant qu’aux écosystèmes. L’écologie officielle d’essence urbaine a trop tendance à oublier ce niveau humain, en particulier les communautés rurales. Il faut aider les territoires ruraux et « périphériques » (concept de Guilluy) à ne pas se dissoudre dans la grande ville, aider leurs habitants à trouver du travail ailleurs que dans les métropoles. « Viure au pais » dans des systèmes économiques plus locaux. Faisons en sorte, à partir de la fonction de base de l’agriculture, que plus de professions puissent revitaliser nos territoires de plus en plus désertifiés (tristes déserts médicaux, tristes services publics abandonnés…).

            Nous avons oublié que nous faisions partie d’une totalité humaine et écologique où tout est lié. Notre Occident a trop sacrifié au dieu argent et à son vecteur, le  progrès techno numérique, sans limites ! Nous en avons perdu nos repères que notre idéal historique voulait humanistes et éthiques. Dans nos sociétés urbaines, l’artificiel, puis le virtuel, se sont trop substitués au réel. Nous sommes devenus esclaves de nos smartphones et autres joujoux technologiques. Nous aurions dû les cantonner au rôle d’outils. Sinon la rupture anthropologique continuera à nous perturber, et le « vivre-ensemble » à se dégrader…sous les coups de boutoir de nos individualismes. Il faut résister au « toujours plus » du capitalisme techno financier.

            Le drame originel mis en évidence par les anthropologues, derrière Lévi-Strauss, Descola ou Latour, c’est que notre Occident, de plus en plus capitaliste, a imposé au monde entier ses seuls critères, sous couvert d’universalité. Il homogénéise les cultures et l’économie, alors que l’humanité a toujours été riche de ses diversités, culturelles et écologiques. Il va falloir revoir nombre de nos comportements.

 Voilà tout l’argumentaire que met en scène la pièce de théâtre publiée par les Ed. L’Harmattan que j’ai intitulée Numérissime…Modernissime…Virus.

"La modernité met-elle les cultures rurales en péril ?" : Essai constitué de six contributions

* "L'âme perdue des campagnes. Le sacrifice des paysans, de la ruralité et des communes.(Philippe DUBOURG)

* "Le Sacrifice des paysans, une catastrophe sociale et anthropologique. (Piere BITOUN)

* "Langue et espace rural : le gascon, patrimoine immatériel et facteur d'identité pour les Landes. (Jean-Jacques FENIE)

* "Bibe é trabalha déns u métérie dé Chalosse dé cap à 1950 : les travaux et les gens d'une ferme de Chalosse. (Jean-Pierre Brèthes)

* "La chasse des traditions cynégétiques landaises.(Jean-Paul LAGARDERE)

* "La civilisation traditionnelle avant 1914. Aperçu ethnographique. (Philippe DUBOURG)

Cinquième essai suivi d'un entretien avec Marcel Gauchet : "Ainsi fait-on mourir un monde"

Je parachève mon diagnostic sur l'évolution de la société post moderne à partir de son négatif, les sociétés paysannes perdues.

Après trois ouvrages sur l’école rurale et la Réforme territoriale, vous revenez sur l’enjeu de l’aménagement du territoire avec Ainsi fait-on mourir un monde, l'extinction des sociétés paysannes (éd. Gascogne, 2017). Grâce à votre approche historique, vous donnez à voir un processus de nivellement des différences et notamment celles incarnées par le monde rural. Quel message souhaitez-vous transmettre à vos collègues ?

Je critique le modèle de société uniformisée actuel car il est le résultat d’un processus devenu quasiment inconscient. C’est l’aboutissement d’une logique d’extinction de toutes les sociétés différentes de celle que l’on présente comme la modernité occidentale : comme s’il n’y avait qu’un modèle de société possible pour l’avenir ! Il est à parier que  l’humanité ne récoltera qu’un triste appauvrissement anthropologique de l’éradication de toutes les différences.

C’est pourquoi l’expérience d’un maire rural, sensible à l’incommensurable richesse sociale et humaine de sa commune, peut servir à montrer que la saturation de biens matériels d’un côté, fait perdre, de l’autre, nombre de richesses humaines ou démocratiques. Car si le progrès a apporté d’indéniables bienfaits, il provoque aussi une table rase des aspects positifs des sociétés traditionnelles. Rousseau par exemple écrivait déjà qu’« il n’y a point de vrai progrès de raison dans l’espèce humaine parce que tout ce qu’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre ».

Pour mener ce projet, j’ai repris l’étude ethnographique que j’ai réalisée dans les années 1975 sur la société rurale traditionnelle d'avant 1914 en pays landais. Et j’ai cherché les liens, aussi bien négatifs que positifs, qui nous relient à ce passé en me débarrassant des œillères de l’auto satisfaction moderniste. J’ai cherché des repères qui permettent de renouer avec nos valeurs en allant au-delà du tabou de l’identité rurale réactionnaire. En mon sens, le maire est en contact direct avec cette base naturelle de l’écologie sur laquelle on doit se pencher sérieusement avant de faire le constat de l’extinction des sociétés rurales.

Quelle vision donne l’essai du passé et finalement, comment s’appuyer sur le passé sans nostalgie ?

On peut, en ethnographes ou même en touristes de notre époque moderne, faire l’expérience de l’empathie universelle générée par la rencontre avec autrui. Ne ressentons-nous pas à cette occasion qu’un « sauvage » vit aussi en nous, et que notre civilisation ne devrait pas l’oublier. La culture n’est pas un état de fait qui permettrait à nos sociétés modernes de se sentir supérieures et méprisantes à l’égard des anciennes sociétés paysannes. Au contraire, notre vraie culture est le palimpseste de toutes les étapes de l’histoire de notre civilisation. Cette idée selon laquelle les traces de notre passé continuent d’apparaître dans notre quotidien permet de voir nos ancêtres comme des frères dans le dur exercice de la vie.

Ce regard ethnographique permet, selon la formule de Marcel Gauchet, de sortir de « l’invulnérabilité aveugle de la bonne conscience ». Il faut avoir ce recul humaniste pour se prémunir contre tous les travers de notre époque, car ce n’est pas en ringardisant tous les discours pointant les limites du progrès qu’on répondra à la crise existentielle de nos sociétés. Face au rouleau compresseur de cette adoration béate du progrès qui écrase tout ce qui est différend d’elle-même, il est urgent de mener le combat de la réhabilitation des sociétés rurales afin de lutter contre cette forme d’obscurantisme ambiant.

Comment cette préoccupation s’incarne-t-elle aujourd’hui dans les enjeux d’aménagement du territoire et quelles leçons peut-on en tirer pour défendre les communes rurales ?

On peut retenir qu’il est essentiel de sauvegarder des « territoires à visage humain » ; c’est d’ailleurs ce que je démontre dans mes essais sur la réforme territoriale. Les communautés à visage humain existent historiquement et anthropologiquement autour de cette collectivité de base qu’est la commune. Or l’engrenage de la concentration et de la métropolisation est terrible pour les territoires et leurs habitants qui se sentent exclus du grand banquet de la mondialisation matérialiste. Toutes les différences, les petits territoires, les minoritaires, sont broyés dans l’engrenage du « big is beautiful », toujours plus gros, et toujours plus éloigné des citoyens.

Ainsi à l’étude historique succède dans l’ouvrage une vision sans concession de l’évolution qui a abouti à une concentration métropolitaine des richesses et des pouvoirs, et, par contrecoup, à de multiples désertifications de nos territoires (agricole, industrielle, commerciale, médicale, scolaire, etc.). Mais si la Réforme territoriale vient accentuer dramatiquement les déséquilibres, on ne doit pas pour autant être fataliste, car on peut noter quelques résistances à ce mouvement de concentration technocratique et urbaine.

Vous soutenez que la globalisation entraîne un appauvrissement de la diversité humaine. En quoi cela a aussi des répercussions sur la vie des territoires ?

Nous avons plus que jamais besoin de diversité culturelle pour défendre nos valeurs. Amin Maalouf écrit par exemple que : « pour l’universalité des valeurs, il est impératif de lutter contre l’uniformisation appauvrissante, contre l’hégémonie idéologique ou politique ou économique ou médiatique, contre l’unanimisme bêtifiant ». Et il poursuit en affirmant que « chacun d’entre nous devrait être encouragé à assumer sa propre diversité, à concevoir son identité comme étant la somme de ses diverses appartenances, au lieu de la confondre avec une seule, érigée en appartenance suprême, et en instrument d’exclusion, voire parfois en instrument guerre…».

Aujourd’hui, l’enjeu auquel nous sommes confrontés consiste de plus en plus à réussir à « faire société ».  Or,  le vivre ensemble, ce n’est pas le vivre entre nous, dans un entre-soi stérilisant, entre gens identiques ; c’est en acceptant la différence que l’on créera la société humaine de demain. En ce sens, les Cultures rurales et les langues vernaculaires sont un excellent antidote thérapeutique par rapport au mode de vie urbain qui s’impose de plus en plus, économiquement parlant, comme le seul possible sur terre. Face à l’indifférenciation universelle de la civilisation mondialisante, l’utopie des riches terroirs du monde, malgré la connotation archaïque du terme, peut être une bonne manière de lutter contre les signes de déshumanisation de notre monde moderne.

Dans votre ouvrage, vous évoquez les travaux d’Edgar Morin, d’Amin Maalouf, de Pascal Picq, de Philippe Descola, et bien sûr de Marcel Gauchet. Pourquoi s’appuyer sur autant de grands penseurs ?

C’est mon bonheur de trouver confirmation de mes analyses qui essaient d’aller du local au global auprès des nombreux grands penseurs qui tiennent le rôle de « lanceurs d’alerte ». Marcel Gauchet, pour la seconde fois, m’apporte sa caution dans un long entretien qui fait suite à l’essai. Pour l’anthropologue Lévi-Strauss, il y a peu de différences entre la pensée scientifique et la pensée archaïque. Cela permet de réhabiliter l’analyse des sociétés traditionnelles à travers leur propre cohérence anthropologique. Cela permet de voir qu’un village est anthropologique dans la diversité et la richesse sociales et humaines qui le caractérisent.

C’est ce que mon étude ethnographique a souligné en montrant les traits positifs des sociétés paysannes traditionnelles : le sens de la famille, de l’enfant, du voisinage, de la solidarité, de l’animal, la résistance à la dureté de la vie, etc. Ce sont ces valeurs qui peuvent nous aider aujourd’hui à assurer le lien entre traditions et modernité. C’est pourquoi il est essentiel de ne pas jeter aux oubliettes les petites collectivités et les communautés humaines qui les composent.

Comme l’annonce Edgar Morin, « il faut retourner partiellement au passé pour repartir vers le futur : c’est-à-dire retourner aux paysans, aux villages, à l’artisanat, etc. ». Or, en éloignant les lieux de décision des citoyens et des élus de base, d’aucuns rêvent de créer une société pour les riches élites de la planète. Une nouvelle société des intérêts privés risque de régner à la place de la diversité anthropologique d’avant. Une vision culturelle appauvrie s’installe progressivement et il s’agit là d’une rupture majeure dans la longue histoire humaine.

Le temps est venu de changer de civilisation, ainsi que le dit Edgar Morin, dans son dernier ouvrage : « la mondialisation techno-économique crée dans notre nation des déserts humains et économiques…Plus nous sommes menacés par des forces anonymes et anonymisantes qui tendent à disloquer ou à dissoudre les communautés et les solidarités, plus nous devons travailler à sauver lesdites communautés et solidarités…La démocratie est profondément malade…La science, la technique, l’économie, sont « dopées » par une croissance aussi impressionnante qu’incontrôlée, alors que l’éthique, la morale, l’humanité, sont dans un état de barbarie lui-même croissant ». 

________________________________________

 

  • La Tempête (Atlantica - 2010), une chronique romancée de la tempête Klaus ; une nouvelle, Pauvres chevaux de 14-18 ;
  • La Démocratie, enquête locale landaise, pensée globale (France Libris - 2012), un essai qui décrit les insuffisances de la démocratie ;
  • 1000 ans d’histoire de la ruralité (France Libris - 2013), un livre-album historique à partir de photos d’un Son et Lumière « Mémoire de la terre » ;
  • Pensées multiples (France Libris - 2014), un livre-album à la frontière de la poésie et du slam mis en musique par Hervé Leveau ;
  • La Réforme des rythmes scolaires (éd. Gascogne - 2014), un essai sur l’avenir de l’école en général, et rurale en particulier
  • La réforme territoriale : la contagion technocratique (éd. Gascogne - 2015), un diagnostic sans concession sur l’aménagement du territoire, prolongé dans l’ouvragesuivant :
  • Concentrations inhumaines. Désertification de notre monde (France Libris - 2017).

À commander à : philippe.dubourg@wanadoo.fr ou sur les sites des librairies en ligne…